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15 février 2010 1 15 /02 /février /2010 07:00
 

En sortant de la gare je décidai d’aller au rendez-vous à pied. Cela me fit du bien de marcher après cette journée que j’avais passé sur les rails. En plus il faisait beau, les jours étaient très longs en cette saison, à cause de l’heure d’été bien sûr, mais aussi du fait de la longitude décalée qui entraîne toute la pointe de Bretagne dans des soirées interminables.

 

Au moment de taper à la porte d'Émilienne Guémerric, je m’attendais à trouver une petite vieille morose et souffreteuse compte tenu de ce que j’avais lu dans ses lettres, lesquelles revenaient sans répit sur sa santé chancelante. Aussi, lorsqu’elle m’ouvrit, je fus assez surpris de découvrir une grand-mère potelée avec des joues rouges et l’œil vif, sans rapport avec la prétendue malade épistolaire.

Bonsoir jeune homme ! Vous êtes bien à l’heure ! Entrez, entrez !

Pristi ! Ça me faisait un peu drôle de m’entendre appelé « jeune homme ! » Décidément, avec ses airs de vieille dame indigne cette Émilienne commençait à bien me plaire. Elle me fit asseoir dans un canapé défraîchi et je lui offris la petite corbeille gourmande que j’avais apporté à son intention.

Allons ! Il ne fallait pas !

Mais à voir comment brillaient ses yeux tandis qu’elle déballait le zinzin j’ai compris que j’avais tapé dans le mille.

Je lui avais choisi un assortiment cévenol composé de mini-pots contenant confiture de gratte-cul, crème de marron et miel de châtaigner, trois pots qui donnaient joliment la réplique à trois boîtes de fer blanc étiquetées de noms de pâtés savoureux : grive, lapin, sanglier. Au centre, comme une très sainte relique, était couchée dans son nid de paille une demi-bouteille d’excellent Minervois.

 

Si je n’avais jamais vu une vieille dame enchantée j’en aurais fait l’expérience ce soir là. Et vas-y que je m’affaire, de ci, de là ; prenez donc ce quartier de far jeune homme, je le fais moi-même, allons, un petit verre de calvados, ça ne peut pas faire de mal. Ah ! Il vous faut une cuiller…

Et la voilà qui part à ma droite, qui revient sur ma gauche, et d’aller, et de venir, de papillonner, et de poser délicatement un trente-trois tours sur un antique électrophone... A donner le tournis !

 

Je vous fais écouter ce que nous dansons ici. Enfin, autrefois, parce qu’à présent, avec mes rhumatismes…

Elle se montra tellement gaie et enjouée que malgré ma fatigue accumulée, je n’ai pu faire autrement que de partager sa joie de vivre. Alors, au son aigu des bombardes et des binious nous avons entamé ensemble quelques pas de danse hasardeux avant de rire de bon cœur de nos excentricités.

Le calme revenu je revins à ce qui me préoccupait. Je lui confiais la photo que j’avais emportée avec moi à seule fin de la lui présenter… Reconnaîtrait-elle l’enfant ?

Pendant qu’elle allait quérir ses lunettes pour-voir-de-près, j’examinai la pochette du disque qui continuait de dispenser sa musique extravagante. Il s’agissait d’un enregistrement effectué à l’occasion des fêtes de Cornouaille intitulé "Mouèz-Breizh, mille sonneurs." Sur le devant de la pochette le dessin d’une bigoudène en costume ; au verso, dans la liste des morceaux, je repérai deux titres assez connus : la marche d’Elven et Chal Ha Dicha. Il me semblait bien qu’Alan Stivell en avait fait une…

Bien sûr que je le reconnais ! entendis-je soudain, Mon dieu ! Ça me rajeuni pas de voir ça !

Je laissai tomber la pochette pour m’approcher.

C’est lequel ?

Lui !

Parmi les garçonnets alignés sur la photo de classe, le doigt ridé s’était posé sous le visage juvénile que j’avais déjà pressenti. Alors oui, c’était lui. Comme un jésus au milieu des apôtres. C’était bien lui.

 

Je suis resté jusqu’assez tard chez Émilienne Guémerric. Nous avons parlé de l’ancien temps et elle a longuement évoqué les souvenirs qu’elle avait conservés du garçon. J’ai tout noté, scrupuleusement. Chaque détail pouvait me fournir une occasion de le retrouver.

J’ai fait un sort à son far, plus par fringale que par gourmandise... Puis le temps est venu de nous séparer. Au moment de partir elle m’a demandé si elle pouvait m’embrasser ; elle me disait que je lui rappelais le petiot… Sans vergogne, elle m’a pris dans ses bras et m’a collé un bécot comme si j’avais été un jeune premier.

A ce moment là je ne savais pas que je ne la reverrai plus jamais.



Réhabilité pour les Impromptus Littéraires


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